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Lorsque j’ai demandé à Jean-Paul Ouellet : « Mais qu’est-ce qui vous a motivé à bâtir une si grande entreprise et à devenir un des plus grands producteurs d’œufs et de volailles au pays ? », j’étais loin de me douter que cette question, si simple en apparence, allait nous entraîner dans un long voyage au cœur des motivations de la réussite et de la psychologie de l’entrepreneur. Tout cela est très peu enseigné à l’université.

L’entrepreneur est perçu généralement comme un être rationnel et confiant. Souvent, on le considère comme une personne en pleine possession de ses moyens et gérant ses émotions. Il semble faire des choix en fonction du succès de l’entreprise. Est-ce vraiment le cas ?

Et si nous faisions fausse route ? Serait-ce possible que les émotions aient autant d’influence que la raison ?

Pour la plupart des chefs d’entreprise, il est inconcevable de croire que certains de leurs choix soient influencés par des facteurs dont ils n’ont pas conscience, car ces facteurs se trouvent dans leur angle mort.

Lors de mes conférences, je demande souvent à mes auditeurs combien de décisions ils prennent chaque jour concernant leur alimentation. La plupart me répondent entre 5 et 15. Selon un grand spécialiste du comportement alimentaire, le psychologue Brian Wansink, l’être humain prendrait environ 221 décisions par jour : «Est-ce que je déjeune ce matin ? Si oui, des œufs ou des céréales ? Un ou deux œufs ? Avec ou sans bacon ? Quatre ou six tranches ? Rôties ou pas ? Combien ? Beurre d’arachides ou beurre ou les deux?»

Croire que nous sommes complètement conscients de nos choix est peut-être bon pour notre ego, mais ce n’est pas la réalité et cela nuit énormément au développement de notre plein potentiel et de notre entreprise. Prenons l’exemple de l’agriculteur qui refuse d’aller inspecter ses champs de peur de les retrouver envahis de mauvaises herbes. Nier cette réalité ne fera pas disparaître les mauvaises herbes et l’empêche d’agir, ce qui entraînera des dommages considérables à la récolte.

Cet article est tiré du premier chapitre de mon livre « Survivre à la réussite ». 

L’humiliation de Jean-Paul: la source de motivation de l’entrepreneur

Vous allez voir que je suis capable !

Quand j’étais jeune, j’avais beaucoup de misère à l’école. J’ai décidé d’arrêter l’école vers 16 ans, en 8e année parce qu’il y avait des limites à me faire doubler mes classes. Ils étaient obligés de me faire monter de grade, parce que j’étais rendu trop grand et gros pour être avec les autres. En plus, comme j’y allais maintenant en camion, je me suis dit que je n’avais pas de temps à perdre. C’était le temps de travailler. Aujourd’hui, j’ai de la difficulté à lire et à écrire, mais je sais compter !

Je sentais sa fierté de savoir compter. Le ton cachait à peine un mélange d’amertume, de colère et de satisfaction d’avoir réussi.

Tous ces enfants qui ont ri de moi quand j’étais jeune, ben ils m’envient aujourd’hui. Je peux tous les acheter !

J’ai alors osé lui dire : « Je pense sincèrement, monsieur Ouellet, que vous aurez un jour à pardonner à ces enfants, sinon vous allez vous détruire. »

Ses traits portaient encore les vestiges d’une colère et d’une fierté, mais ont vite laissé place à une tristesse surprenante. Il éclata en sanglots. L’émotion m’habitait et me déstabilisait. Je compris alors que derrière cet homme d’affaires implacable, plus grand que nature, en apparence sûr et confiant, déterminé, respecté et idéalisé par certains, craint et envié par d’autres se cachait un enfant profondément blessé. Allait-il accepter sa vulnérabilité et le fait qu’il avait besoin d’aide ? Allait-il admettre que les motivations qui l’avaient nourri, jour après jour, et lui avaient permis de réussir étaient maintenant en train de le détruire ?

Il s’était donné la mission de « nourrir la planète » ; rien de moins. Et cette mission le dévorait littéralement. Quel paradoxe ! Cet homme avait réussi pour survivre, et mon défi consistait à l’aider à survivre à sa réussite.

Comment et pourquoi cet homme issu d’un milieu modeste en était-il venu à développer une entreprise agricole comptant plus d’une centaine d’employés et dont le chiffre d’affaires annuel excédait les 50 millions de dollars ?

Tout en étant unique, l’histoire de Jean-Paul est celle de nombreux entrepreneurs. Plusieurs, incluant leur entourage, ont parfois de la difficulté à comprendre leurs réactions souvent explosives. Certains croient que les changements sont impossibles. Ils souffrent en silence et se sentent isolés. Le désir de se libérer de cette dépendance au succès les amène à se poser de nombreuses et douloureuses questions.

De leur côté, les gens gravitant autour d’eux, principalement les conseillers financiers et les comptables, considèrent généralement les entrepreneurs comme des êtres rationnels et stratégiques.

Et pourtant, j’ai eu l’occasion de discuter régulièrement avec des directeurs de comptes agricoles, des comptables et des conseillers en gestion. Ils constatent que les décisions et les comportements du chef d’entreprise sont souvent illogiques.

En effet, comment expliquer l’achat de terres à un prix ou de quotas dont la rentabilité exigera plus de 20 ans de travail ? Pourquoi faire l’acquisition de machinerie ou d’équipement, alors qu’on pourrait partager les coûts avec d’autres entrepreneurs ou engager à forfait pour les réduire ? Pourquoi continuer d’investir quand son conjoint n’en peut plus et que son équipe abandonne ? Pourquoi persister à développer l’entreprise alors qu’autant de signes autour de soi sonnent l’alarme ?

 

Ce sont là des questions de gestion quotidienne, mais l’avenir de l’entreprise pose aussi souvent des problèmes. Comment expliquer, par exemple : qu’on refuse de parler de relève lorsque son rêve consiste pourtant à transférer l’entreprise ?Déraisonnable qu’on ne prépare pas cette relève ? Qu’on refuse de partager son savoir-faire et savoir-être? Que dans certains cas, les entrepreneurs éprouvent même du plaisir à voir la relève échouer ?

Les marqueurs de l’enfance pour comprendre la motivation de l’entrepreneur

Tout commença par une première entrevue téléphonique. Je questionnais Jean-Paul et ses associés sur leur entreprise et son fonctionnement. J’analysais leurs besoins et tentais de comprendre le sens de la demande. Visiblement irrité, Jean-Paul dissimulait difficilement son malaise.

Veux-tu la faire la job ou tu veux pas la faire ? Dis-le tout de suite. Arrête de m’écœurer avec tes criss de questions! , pensait Jean-Paul.

L’homme d’affaires me consultait en tant que coach et psychologue du travail pour déterminer comment je pourrais l’aider à développer son entreprise et à faire que ses employés soient plus heureux au travail. Il pourrait ainsi les garder plus longtemps à son emploi, assurant à son entreprise stabilité et progression. Il m’a confié le mandat de mesurer leur niveau de bonheur et de satisfaction.

Il me fallait donc questionner les employés ! Habituellement, on me consultait au sujet de problèmes de fonctionnement dans une entreprise et non pas concernant le bonheur du personnel. J’avais affaire à un chef d’entreprise très particulier.

Lors de cette rencontre, en guise de salutations, Jean-Paul me questionna :

Qu’est-ce que tu penses, toi, du syndicat ?

Il me testait. Il se méfiait, craignant que je fasse appel à un syndicat. Quand il avait une idée en tête, il en était obsédé. S’il n’avait pas aimé ma réponse, il m’aurait virée sur-le-champ, sans se soucier des 600 kilomètres parcourus pour me rendre à cette rencontre. Je n’avais pas droit à l’erreur.

Il se disait qu’il allait dompter la « petite » (moi). Mon diplôme sur papier 8 ½ × 11 ne l’impressionnait pas. Bien entendu, il se taisait. Il savait doser. Pourtant, dès le début, j’ai ressenti l’attitude de celui qui refuse toute menace et qui ne s’en laisse pas imposer.

Toutefois, il ne gérait plus très bien ses émotions et avait besoin d’aide professionnelle afin de poursuivre son ascension. Il avait atteint ses limites. Voilà pourquoi, après que j’eus passé le test « du syndicat », il m’a demandé jusqu’où il pouvait aller dans son projet d’expansion, conscient que ses émotions allaient le freiner.

À la lumière de plusieurs informations recueillies, je lui répondis : « Vous devez ralentir. Le stress sur vos épaules c’est comme la neige sur une toiture. Il faut en enlever, sinon tout va s’écrouler. » Il s’est dit :

C’est pas la bonne personne ; elle pourra pas m’aider.

Ce n’était pas la réponse qu’il voulait entendre et je le savais avant même de la lui donner.

Malgré son besoin d’aide, sa méfiance persistait. Il avait appris, chez les Alcooliques Anonymes, que seul un alcoolique peut en aider un autre. Alors, il doutait fortement de ma capacité à l’aider.

— Tu ne connais rien aux alcooliques !

— Non, en effet, vous avez raison. Mais l’alcoolisme est une maladie reliée aux émotions et c’est précisément dans la gestion de vos émotions que je peux vous aider. Je respecte le fait que vous ne soyez pas prêt.

Nous avons échangé un regard silencieux. Il m’avouera, des années plus tard, qu’il y avait perçu beaucoup de compassion et que cela l’avait touché.

Malgré tout, nous avons quand même établi un bon contact dès cette première rencontre. J’ai compris sa douleur et cette empathie fut la petite graine qui germerait plus tard. L’empathie est maintenant reconnue en coaching et en psychothérapie comme un facteur déterminant dans le processus de guérison ou de développement de son potentiel. Sans réelle empathie, les résultats sont très limités.

Malheureusement, quelques mois plus tard, les événements m’ont donné raison. Jean-Paul sombrait dans une dépression. Il séjourna trois semaines dans un centre où il suivit une thérapie intensive et où on lui suggéra un suivi psychologique. Il me rappela. Non seulement au sujet de l’expansion de son entreprise, mais pour son développement personnel aussi.

Nous avons ainsi entrepris ensemble un long cheminement pour qu’il retrouve la paix et le bien-être. Il souffrait, mais il était décidé à modifier certains aspects de sa vie. L’enfant blessé voulait guérir. Il était ouvert à mieux se comprendre et j’étais disposée à l’accompagner. Le soutien des proches a aussi été primordial.

Il m’a fallu faire preuve de beaucoup d’intuition, de souplesse et de créativité pour accompagner cet homme d’affaires plus grand que nature. En chef d’entreprise efficace, il me demandait d’évaluer la durée et le nombre des rencontres. Ma réponse le déroutait : « Ça dépend de ce que vous voulez atteindre : arrêter de souffrir ou être heureux. » Au début, il voulait simplement arrêter de souffrir, car le bonheur lui semblait un peu trop abstrait. Il s’interrogeait sur sa capacité à changer. Mes explications lui offraient un nouveau défi. S’il décidait d’investir dans son développement personnel comme il l’avait fait dans celui de son entreprise, il assisterait à un miracle. Toutefois, il aurait besoin d’une grande détermination, d’un engagement à long terme, d’un investissement en temps, en argent et en énergie.

Mes premières observations concernaient son enfance, marquée au fer rouge par des expériences de honte, de rejet et d’humiliation.

L’école: source principale de la motivation de l’entrepreneur

Quand j’ai commencé l’école, la maîtresse avait décidé que «Jean-Paul» était trop long à écrire, probablement parce qu’elle voyait que j’avais ben de la misère. Elle m’a appris à écrire «Paul». En plus, ma mère s’appelait Clarinthe. C’est à peine si j’arrivais à dire son nom correctement. Arrivé en deuxième année, la nouvelle maîtresse m’a demandé d’écrire mon nom. J’ai écrit «Paul» en pensant que c’était «Jean-Paul». Lorsqu’elle m’a demandé le nom de ma mère, j’y ai dit que je ne le savais pas. J’étais incapable de le prononcer. Mais ça, la maîtresse l’a plutôt perçu comme un signe que j’étais «retardé». J’ai vu dans ses yeux : «retardé». Je venais d’être étiqueté. On voulait m’envoyer dans une classe spéciale. Je pensais à ma sœur qui avait presque toujours 100 % à l’école. Mon frère faisait six pieds. Moi je n’étais pas très grand. J’aurais voulu me faire remarquer par mes parents. Pas facile quand t’es dans le milieu d’une famille de 16 enfants. J’essayais d’obtenir des 100 %, mais je n’y arrivais pas. J’avais beaucoup de difficulté en français. Si je n’arrivais pas à être le premier pour attirer l’attention, j’ai décidé que je serais le dernier. Là je me ferais remarquer !

Quand tu reçois des coups de ceinture devant tout le monde parce que t’as pas fait tes devoirs (parce que tu comprends rien), que t’es isolé dans le coin, que les professeurs te disent que… «T’as rien compris ; tu feras jamais rien de bon dans la vie ; tu vas aller en prison», tu perds confiance en toi-même, tu penses que t’es pas intelligent. Et tu finis par y croire.

L’humiliation, sous toutes ses formes, engendre la honte. Cette dernière peut entraîner la perte d’estime de soi, l’incapacité de s’accomplir et la dépression. Mais elle peut aussi se transformer en ambition démesurée afin de prendre sa revanche sur le passé. Cette honte peut s’exprimer par :

Je vais vous montrer que je suis capable !

Cette phrase fut un mantra pour Jean-Paul.

Tous ces événements m’ont fait haïr l’école. Pour moi, c’était un endroit pour me faire sentir honteux. De l’estime, j’en avais zéro pis une barre. Je me disais : «Si je peux-tu sortir d’ici au plus vite pour travailler !» On me ridiculisait parce que j’avais de la misère et parce qu’on était pauvres. Je me faisais appeler «Toilette» pour Ouellet. C’est pas un nom pour te remonter l’estime. Une chance, j’ai eu quelques bons professeurs au travers même si certains adultes ont aussi contribué à me rabaisser. Ils m’avaient étiqueté. Les enfants peuvent être méchants. Les adultes aussi.

Je n’arrêtais pas de répéter : «Si je peux-tu sortir de cette prison-là !» Je me demandais ce que j’allais faire. Vers 12 ans, j’ai commencé à fantasmer sur le crime organisé. Je me disais : «Eux autres, y a personne qui les écœure. Ils se font respecter. Ils sont riches et ils ont le pouvoir. »

En parlant de ses souvenirs, Jean-Paul venait de déterrer une mauvaise herbe envahissante qui avait étouffé son enfance. La honte est comme le chiendent. Il s’empare des plus belles récoltes et les asphyxie. La honte avait envahi sa jeunesse et l’avait gardé prisonnier. Quelle force il avait eue, enfant, pour continuer à grandir sans se laisser détruire complètement par son milieu scolaire ! Survivre à ce sentiment constituait un défi de taille. Après tant d’années à se faire rabaisser, on peut facilement comprendre qu’il en ait été profondément marqué. Pendant tout ce temps, il enfouissait sa honte au cœur de sa « terre » intérieure et lentement, la rage couvait. La colère s’y cachait dans tous les recoins.

Un jour, un chat griffa Jean-Paul. Il a laissé sa vengeance s’exprimer avec violence et il a tué l’animal. Il avoua qu’il en était content. Même enfant, il ne tolérait pas qu’on l’agresse ni qu’on le rabaisse et la douleur et la rage l’endurcissaient. Sa carapace se bâtissait déjà. Il fallait survivre aux humiliations. Jean-Paul ne pouvait se venger des autres enfants ou des professeurs, mais il le pouvait avec le chat. Cela s’appelle du « déplacement ».

La pauvreté

On était tellement pauvres qu’on pouvait même pas avoir de pommes. C’était trop cher. Sauf que certains de mes amis en avaient. Ça fait que, lorsqu’ils jetaient leurs cœurs de pomme dans la cour d’école, je les ramassais en cachette pour les manger. Et là, vient le jour où t’en as tellement envie que t’attends un peu moins longtemps que d’habitude pour le ramasser. Et tes amis te voient. Puis ils rient. Ils rient fort. Imagine l’humiliation. En plus, chez nous, on était habillés avec les vêtements des voisins. Mes amis reconnaissaient leur linge et me disaient : «Eh Toilette ! T’as mis mes vieilles culottes ?» Ça fait mal en criss. Tu te dis qu’un jour, toi, tu vas en avoir de l’argent. Tes enfants n’en ramasseront pas des cœurs de pomme par terre et ils ne seront pas habillés avec le linge donné par les riches.

Je suis le dixième d’une famille de seize enfants vivants sur dix-sept. Imaginez la discipline que ça prenait. La crème glacée entrait le mercredi. Pas question d’y toucher avant le dimanche. Le Koolaid, on mettait le double d’eau pour en avoir pour tout le monde.

L’enfant blessé dévoilait de plus en plus les marques de son passé. Alors, tout espoir de guérison était permis. Jean-Paul se souvenait et acceptait de se raconter. Sa mémoire allait servir à démasquer ses démons intérieurs et à expliquer sa souffrance.

Nous avons tous de petits démons intérieurs, certains les appellent « leurs fantômes ». Ces derniers prennent plus ou moins la maîtrise de nos vies. Pour certains, ce sont les exigences absolues d’un parent, pour d’autres ce peut être le grand frère auquel ils étaient constamment comparés. Pour plusieurs, ce sont des professeurs maladroits qui ont dévalorisé, jugé sévèrement, prédit l’échec. Enfin, pour d’autres, ce sont les fantômes de ces camarades de classe qui ont certainement agi en toute innocence. En fait, ce sont tous ces gens inconscients des ravages que leurs paroles ou leurs jugements peuvent causer.

Apportons ici quelques nuances sur les marqueurs de l’enfance. Vous connaissez peut-être des gens ayant vécu des expériences scolaires ou personnelles comparables à celles de Jean-Paul. Toute- fois, elles ont réagi différemment. Il n’est pas nécessaire, ni même souhaitable selon plusieurs auteurs que notre enfance ait été parfaitement heureuse. Tout comme un vaccin, une petite dose de difficultés, de frustrations, de défis prépare à la vie. En tentant d’éviter toute frustration aux enfants, on les empêche alors de développer leur tolérance, leurs capacités de faire face aux difficultés et leur compréhension du monde sont faussées. On leur laisse croire que tout le monde est beau et gentil, que la vie est juste et qu’ils auront tout ce qu’ils méritent et désirent. Nous savons que c’est totalement faux.

En fait, pour devenir des adultes responsables, autonomes et aptes à faire face aux aléas de la vie, les enfants ont besoin de développer un sentiment de sécurité de base, des parents cohérents et aimants, qui les appuient et les valorisent. Les parents doivent encadrer en offrant assez de limites, de sécurité affective et d’occasions pour développer et renforcer l’estime de soi, l’expression de soi et l’autonomie.

Or, Jean-Paul a vécu une dose trop concentrée de difficultés.

Pauvre, il souffrait des sarcasmes des autres, y compris des adultes.

Un jour, mon père m’a envoyé chez le voisin pour emprunter un tournevis étoile parce qu’on n’en avait pas. Quand j’ai demandé au voisin de nous en prêter un, il m’a dit : «T’as juste à prendre un tournevis plate !» J’y ai répondu : «On n’en a pas.» «Vous avez même pas de tournevis plate ? Faut être pauvre vrai !» Je m’en souviens comme si c’était hier. J’aurais voulu disparaître tellement j’avais honte. Là je me suis dit : «Un jour j’vas en acheter des maudits tournevis.»

L’épisode du tournevis constitue un souvenir marquant. En terminant le récit de cet épisode, il me proposa de me montrer sa collection d’outils, tout particulièrement les tournevis et les marteaux acquis compulsivement au fil des ans. Chaque fois qu’il entrait dans une quincaillerie, il ne pouvait s’empêcher d’en acheter un nouveau.

Un autre événement encore plus troublant a chamboulé Jean-Paul : la saisie de la maison familiale par un huissier.

J’avais huit ans, quand un monsieur qu’on ne connaissait pas est entré dans la maison pis nous a dit qu’on devait la quitter, qu’elle ne nous appartenait plus. Ma mère, mes sœurs et frères pleuraient, moi je ne comprenais pas, mais j’avais peur. Je ne savais pas ce qui allait nous arriver.

Il fut terrifié, car il croyait devoir coucher dehors, dans les bois, avec les coyotes. Par chance, son parrain a racheté la maison familiale. Toutefois, Jean-Paul fut très longtemps marqué par cet épisode. Aujourd’hui propriétaire de huit maisons, il se demande certains jours où il ira dormir le soir.

Heureusement, un marqueur positif s’imposa. Son oncle et parrain, producteur laitier et homme d’affaires prospère, est devenu, inconsciemment, son modèle et le filleul suivit ses pas. Il suffit parfois d’une seule bonne référence pour changer la perception et l’espoir de quelqu’un.

Nous entendons tous intérieurement des petites voix. Parfois, ce sont des anges ou des démons imaginaires sur nos épaules. Ils nous parlent à l’oreille et formulent nos dialogues intérieurs. Les petits diables s’expriment souvent plus fort que les anges. Ils représentent les voix de personnages du passé. Ils influencent nos réflexions et décisions. Ils proviennent de nos expériences vécues principalement au sein de la famille ou à l’école.

En fait, l’école devrait être le prolongement du milieu familial puisqu’elle offre aussi des occasions de croissance. Un équilibre entre les deux doit donc être maintenu. La famille reste un lieu déterminant, et théoriquement le plus inspirant, mais il arrive que l’école fasse basculer cet équilibre.

Autrement dit, une famille offrant un environnement suffisamment correct à l’enfant pourrait voir son travail compromis si l’expérience scolaire est empreinte de rejet, d’humiliations ou pire si on y subit des sévices. Ce qu’on peut constater dans les cas de harcèlement, dont on parle de plus en plus, mais qui n’est pourtant pas un phénomène nouveau.

Le contraire est vrai. Un milieu familial très inapproprié pourrait avoir un impact négatif moindre si l’expérience de l’école (les amis ou un professeur) est positive.

De plus, un événement pourra avoir des impacts très différents sur chacun des enfants issus d’une même famille. La pauvreté pourra affecter de façon considérable un jeune, mais laisser très peu de traces chez un autre, une fois adulte.

Nous sommes le résultat de notre bagage génétique et de notre expérience de vie.

Les expériences très négatives de l’enfance de Jean-Paul, conjuguées à son tempérament, ont pu l’entraîner à développer des comportements et des stratégies utiles pour sa réussite en affaires, mais qui, au fil du temps, furent une entrave à son développement personnel, professionnel et à son bonheur.

Les milieux destructeurs

Moi j’étais pauvre. Il y en a que ça n’a jamais dérangé, mais moi, ça m’a marqué à vie.

Les difficultés scolaires et la pauvreté ont créé chez Jean-Paul de profondes blessures. En prendre conscience et en reconnaître les conséquences peuvent être le premier pas vers le bonheur.

Si vous avez grandi dans un milieu destructeur ou limitatif, il se peut que vous viviez des difficultés sur les plans personnel, social ou professionnel. Que faire alors ? Agissez avant qu’il ne soit trop tard ; contrez cette destruction et rebâtissez votre estime de soi. Une aide professionnelle peut se révéler d’un grand secours.

L’estime de soi

Les expériences douloureuses vécues par Jean-Paul ont grandement affaibli son estime personnelle. Il a mis la honte et la rage dans ses bagages. Pourtant, il était clair qu’il possédait une volonté incroyable et une force de caractère lui permettant d’atteindre son but : le bien-être, voire le bonheur.

Rappelons-nous qu’au début de nos rencontres, il voulait simplement arrêter de souffrir. Mais je lui ai expliqué que le bonheur était bien plus que ça. La psychothérapie classique traite les gens souffrants. Le courant de la psychologie positive et le coaching développent davantage le plein potentiel des gens et leur aptitude au bonheur.

À dix ans, Jean-Paul détestait l’école et il pensait déjà à se lancer en affaires. Dès qu’on doutait de lui, sa rage refaisait surface :

Attendez ma gang de criss, j’vais vous montrer de quoi je suis capable !

Chaque fois, il serrait les poings et les dents, contenant sa colère. Les plans qu’il échafaudait pour faire des affaires n’étaient rien d’autre que l’expression d’une vengeance. Le volcan bouillait. Il réussirait pour prouver qu’il était quelqu’un !

Une bonne estime de soi nous permet d’être conscients de notre valeur en tant qu’être humain. C’est une image d’un point de vue personnel, social et professionnel. Lorsque celle-ci est stable, elle permet à l’individu d’encaisser les coups durs de la vie sans s’écrouler. Une critique difficile, une séparation et même une faillite pourront être vécues très différemment selon l’estime que l’on a de soi. Un échec ne sera pas interprété comme : « Je suis complètement nul, je ne vaux rien, personne ne pourra vraiment m’aimer », mais bien comme une expérience permettant d’en apprendre un peu plus sur soi, sur la vie et sur les autres.

Une image de soi fragile et peu développée, ou forte, mais instable est reliée au sentiment d’avoir peu de valeur. Un manque à ce niveau est en lien avec un sentiment d’échec entraînant la honte, le doute et la difficulté de s’affirmer de façon constructive. Toutes les atteintes à notre estime éveillent un sentiment profond. Toutefois, certains y réagiront en démontrant un semblant d’assurance et une détermination exagérée. Ils auront ce besoin de réalisation extrême, souvent impossible à assouvir. Une réaction à ce manque d’estime est très présente et explique le « succès » de plusieurs entrepreneurs, professionnels et gestionnaires. Jean-Paul a suivi cette piste de survie, d’où son acharnement à réussir et son désir d’accroître la taille de son entreprise.

À l’inverse, des recherches récentes montrent qu’une trop forte estime de soi pourrait entraîner autant de problèmes : l’arrogance, le manque de respect des autres, le sentiment que « tout m’est dû », la violence, la manipulation. Comme on dit : « Trop, c’est comme pas assez. » Ici se dessine le piège tendu à celui qui atteint un sommet. Une fois devenu « gros », nous verrons qu’il peut être facile de basculer dans l’ivresse du pouvoir.

Pour l’instant, plus j’accompagnais Jean-Paul, plus je comprenais sa dynamique. Dès son enfance, il a commencé à penser, à chercher des solutions pour réaliser ses rêves au lieu de se laisser écraser.

Les premières traces d’entrepreneuriat

À l’école, en punition, Jean-Paul en profitait pour planifier son avenir.

La maîtresse m’a dit : «Qu’est-ce que tu fais là Jean-Paul ?» J’y ai dit : «Je dessine une grange.» «Pourquoi faire ?» «Parce qu’un jour, j’vais en bâtir…» Et elle a ri de moi en disant que je ferais jamais rien de bon dans la vie. Et j’ai replongé ma tête dans mon cahier. J’ai fini ma grange : «Laisse faire, maudit, j’vais te montrer un jour…»

Il se voyait déjà entrepreneur. Son ambition grandissait. Mais elle prenait racine dans chaque petite dose de rage. Il vivait d’espoirs et rêvait de son avenir,

Quand j’étais petit, je me souviens de m’être dit : je vais engager du monde qui va travailler pour moi… parce que moi je suis pas bon à l’école, mais il y en a qui sont bons. Je vais trouver des personnes instruites qui vont m’aider.

Il pensait s’entourer de gens compétents et instruits, sachant qu’il en aurait besoin. Il avait déjà cette idée, ce qui est exceptionnel pour son âge. Plusieurs adultes n’oseraient jamais en faire autant, car ils se sentiraient menacés. Avant l’heure, Jean-Paul démontrait une certaine sagesse entrepreneuriale. Il visualisait sa réussite par association à d’autres gens compétents. Son rêve prenait forme peu à peu.

À douze ans, à la fête des Pères, après la messe, j’étais allé au magasin général. J’voulais acheter un chapelet à mon père pour lui faire un cadeau. Je n’avais pas d’argent. Il coûtait trois piastres. J’ai demandé à la propriétaire si elle pouvait me faire crédit. Je lui rembourserais vingt-cinq cents par semaine. Elle a ri et m’a dit : «Bien entendu mon p’tit bonhomme !» Je venais de faire mon premier emprunt. À ce moment-là, je me suis dit : «Wow ! on peut emprunter !» Sans le savoir, cette femme-là m’avait donné confiance en la vie. J’ai compris qu’un jour, je pourrais faire des affaires. Des grosses affaires. J’ai vu qu’il y avait des gens qui pourraient avoir confiance en moi.

Grâce à cette expérience positive et marquante, Jean-Paul recevait une dose de confiance, un véritable tonique pour son estime et en lien avec les affaires. Il se sentait vraiment en train de « faire de la business ». La plupart des entrepreneurs démontrent très jeunes leur intérêt pour l’entrepreneuriat et affichent des comportements en ce sens.

Puis, vint pour un autre moment important, celui de quitter l’école.

À seize ans, après avoir doublé mes classes ben des fois, un agronome est venu me chercher en parlant à mon directeur d’école. Il l’avait convaincu que je serais mieux d’aller aider mes parents sur la ferme. J’avais atteint ma 7e année de peine et de misère. Je commençais ma huitième. Je pouvais à peine lire et écrire, mais je savais compter. Il pensait m’avoir sorti de l’école, mais il m’avait sorti de prison. La dernière journée, je suis parti dans la prairie et j’ai brûlé tous mes livres. J’étais enfin sorti du calvaire. J’ai été tellement marqué par l’école que j’en ai fait des cauchemars jusqu’à récemment. Maudit que j’ai haï l’école.

La croisée des chemins

Il y avait longtemps déjà que Jean-Paul imaginait des solutions pour améliorer son sort.

Quand j’étais jeune, j’étais intéressé par les histoires de mafia. Dès que les adultes en parlaient, j’écoutais, caché et je ne faisais pas de bruit. Je voulais tout savoir. J’avais une admiration pour ces gros «tough» qui se faisaient respecter. On ne ridiculise pas quelqu’un dans le crime organisé ; on y crie pas des noms; on le respecte parce qu’on a peur de lui.

À dix-sept ans, j’avais décidé, après plusieurs années d’obsessions et de doutes entre la pègre et les affaires, que j’allais rejoindre mes héros. Je suis parti de mon p’tit village du Nouveau-Brunswick, sur le pouce, pour aller rejoindre les «kings» de la mafia : la famille « x» dont j’avais entendu parler. Pour moi, c’étaient les meilleurs. Je voulais devenir « LE MEIL- LEUR ». Arrivé à Québec, je suis monté à bord d’un camion et le conducteur était un homme de ma région. Et là il m’a demandé :

— Où est-ce que tu t’en vas comme ça ? — Ben, he, j’pense aller travailler à Montréal — C’est quoi que tu vas faire à Montréal ?

Pis là ben, je lui ai dit la vérité. Je voulais aller rejoindre les «kings » de la mafia. Il m’a raisonné et m’a rappelé les valeurs que m’avaient transmises mes parents.

— C’est pas comme ça que tes parents t’ont élevé. Ton père t’a montré à être honnête puis travaillant. Pas à faire des crimes.

Il m’a convaincu que je serais mieux d’aller aider mon père sur la ferme. Il m’a donné une piastre pour que je puisse m’acheter des chips et de la liqueur au Marie-Antoinette. Je l’ai attendu là pendant qu’il a fait ses commissions. Il m’a ramené dans mon p’tit village natal. J’ai travaillé quelques années sur la terre avec mon père. C’était la grande misère. Je voulais développer, mais ma mère avait ben peur. C’est mon frère qui a racheté la terre de mon père.

Quelques années plus tard, à 21 ans, je partais à mon compte. Sans le savoir, l’homme qui m’avait fait monter à bord de son camion a changé ma vie. 

Les valeurs de ses parents ont primé sur celles de la famille « x » (de ceux qui étaient les meilleurs !). Jean-Paul décida alors inconsciemment d’être le meilleur… mais autrement.

J’avais vingt-trois ans quand mon père est mort dans mes bras, un après-midi. Il avait eu la quittance de la ferme à midi. Ce moment m’a marqué à jamais. Mon père était un homme très bon et très sage. Une chance que je me souviens souvent de ses paroles, parce que ça m’a empêché ben des fois de faire des folies.

Souvent, les entrepreneurs diront que leur succès comporte une série d’événements, liés au hasard.

En fait, nous ouvrons et fermons certaines portes. Nous prenons des milliers de décisions par jour. Eh oui, des milliers ! La plupart, bien entendu, sont prises par automatismes, histoire de nous faire économiser de l’énergie. Imaginez si vous aviez à renégocier avec vous-même tous les jours par quelle jambe vous allez commencer à enfiler votre pantalon, combien de sucre vous mettrez dans votre café ou quel chemin vous choisirez pour vous rendre au travail.

Les « Ha ! Si j’avais su… » font partie de notre vie et de notre sagesse. Il y a toutes ces portes que nous n’avons pas ouvertes. Que serait-il arrivé si vous aviez épousé votre premier amour, l’homme ou la femme de vos rêves ? Si vous aviez acheté l’entreprise du voisin ? Si vous vous étiez associé à votre frère ? Si vous aviez fait ce voyage à l’étranger lorsque vous étiez jeune ? Nous ne saurons jamais ce qui serait arrivé si… Nous connaissons seulement les conséquences reliées aux portes ouvertes, consciemment ou non.

Jean-Paul a fait ses choix, lui aussi. Il a dû se battre pour survivre à la honte. Il a réussi. Jeune adulte, il est donc devenu entrepreneur, à la recherche de la réussite.

 

Survivre à la réussite

Vous venez de lire le premier chapitre de mon livre « Survivre à la réussite ». Cet ouvrage divulgue les motifs inconscients d’un entrepreneur d’envergure. Vous verrez à quel point les choix sont des stratégies d’adaptation souvent développées à son insu, irrationnelles et parfois contraignantes. Si ces mêmes motivations ne sont pas dépistées, elles peuvent détruire l’être humain. Toutefois, la connaissance et le travail sur soi peuvent faire toute la différence pour lui et son entourage.

Ce livre propose de partir à la découverte de cette semence à l’origine de la récolte actuelle. Nous parlerons, entre autres, des schémas comme la peur, le besoin de réussite et le contrôle. Ces filtres à travers lesquels nous regardons la réalité ont déjà été utiles pour faire face à un événement, mais lorsqu’ils sont trop rigides ou inadaptés aux situations, ils deviennent dysfonctionnels.

Selon un sondage effectué auprès de 75 membres du Conseil des affaires de l’Université de Stanford en Californie, l’habileté la plus importante à développer chez un leader est la connaissance de soi. Un grand philosophe grec, Socrate, appuie cette idée avec la célèbre phrase « Connais-toi toi-même… et tu connaîtras l’univers des dieux. »

Heureusement, Jean-Paul Ouellet a su aller chercher de l’aide pour réorienter ses forces et effectuer un tournant salutaire. Il a d’abord cru en lui pour ensuite intégrer les principes suivants :

  1. Notre personnalité renferme des côtés positifs et négatifs ;
  1. nous n’avons pas totalement accès consciemment à certaines parties de notre être (nos motivations, nos valeurs, nos besoins, nos croyances, etc.) ;
  2. ces parties inconscientes influencent nos réactions, nos choix et finalement notre vie quotidienne ;
  3. la connaissance de soi est essentielle au mieux-être personnel et professionnel ;
  4. plus un entrepreneur se connaît, plus il pourra exercer un leadership positif, posséder une entreprise prospère et avoir une vie satisfaisante.

Nous suivrons ici le cheminement d’un homme qui, en gagnant sa vie, la perdait tout autant. Même s’il a bâti un empire commercial, cet homme a dû faire de nouveaux choix pour retrouver sa liberté. Vous serez touché par l’ampleur de sa transformation.

 

Le livre est disponible sous format PDF-Téléchargeable ou le DUO-version papier et PDF.