Cette question torture Roger depuis sa tendre enfance. Pourtant, cet agriculteur parti de rien, grâce à son sens des affaires aiguisé, a bâti une entreprise prospère.
Après plusieurs rencontres, Roger me regarde avec un air sérieux, mais terriblement inquiet, comme s’il s’attendait au pire : « Madame Desrosiers, est-ce que je suis intelligent ? » Comment Roger pouvait-il me poser cette question ? Lui qui n’est parti de rien ; lui qui, avec sa conjointe, a bâti une belle entreprise prospère et élevé quatre beaux enfants, devenus aujourd’hui des adultes matures et en plein équilibre ; lui qui a un sens des affaires que pourrait envier la majorité des étudiants au MBA (Master business administration) des grandes universités ; lui qui a des compétences largement supérieures à la moyenne en mécanique, en soudure, en électricité et qui, en plus, est doué pour la construction…
Pourtant, Roger porte en lui cette peur, ce doute sur son intelligence, et ce, depuis sa tendre enfance. En effet, Roger n’était pas très doué à l’école et il apprenait difficilement. Aujourd’hui, on dirait probablement de lui qu’il est dyslexique, mais dans le temps, le professeur le traitait de « grand nigaud ».
Des « Roger », j’en ai rencontré plus d’un dans ma pratique. Soit ils ont été ridiculisés à l’école par des compagnons malveillants ou des professeurs maladroits (eh oui, cela existe), soit ils ont été dénigrés à la maison par des parents malhabiles ou inaptes.
Peu importe l’individu ou les individus qui ont maladroitement contribué à cette dévalorisation, lorsque la honte et le doute sur sa propre valeur s’installent et ne cessent de s’accroître, cela peut laisser de profondes marques sur l’estime de soi, et ce, pendant très longtemps. Et pour plusieurs, peu importe les succès et les accomplissements, il existe toujours ce doute qui persiste et qui plane sur sa valeur, sur son intelligence.
Il faut avouer qu’il y a quelques décennies, certains agriculteurs détenant une intelligence moindre reprenaient la ferme familiale. Mais ce ne sont pas ces producteurs qui ont réussi. Ils ne conservaient pas la ferme longtemps. C’est encore plus vrai aujourd’hui. En effet, il faut être drôlement intelligent et doué pour travailler dans le domaine de l’agriculture et y demeurer, en cette période de mouvance, d’incertitude et de grands changements.
Pour pouvoir survivre, cette microsociété doit faire preuve d’une intelligence globale ainsi que d’habiletés et de connaissances dans plusieurs domaines : mécanique, électricité, construction, gestion de troupeau, gestion générale, administration. Il faut être en mesure de planifier, de raisonner, d’apprendre de ses erreurs, de tirer des conclusions et surtout, d’avoir du gros bon sens. Et pour arriver à tout faire cela, il ne faut pas être le nigaud du village.
Au fil des années, j’ai rencontré bon nombre de producteurs et de productrices agricoles. Certains d’entre eux éprouvent de la difficulté à lire. Pourtant, ils pourraient facilement rendre jaloux des architectes, des mécaniciens de métier et des gestionnaires de grandes entreprises.
Ce n’est pas parce que l’on ne surfe pas sur le web et que l’on ne fait pas toutes ses transactions par Internet que l’on est arriéré. Ce n’est pas parce qu’on n’est pas allé longtemps à l’école que l’on n’est pas intelligent. Loin de moi l’idée de dénigrer l’éducation scolaire, car je crois que celle-ci est très importante et qu’on doit la valoriser le plus possible. Mais ce véhicule n’est pas fait pour tous. Et surtout, il n’est pas l’unique signe d’intelligence. On peut continuer d’apprendre toute notre vie, de s’instruire par d’autres moyens, lorsque ceux de l’école ne nous conviennent pas. L’important, c’est de continuer à se former, à apprendre, à demeurer curieux et ouvert d’esprit.
Alors, chers Roger, soyez fiers de ce que vous accomplissez, de ce que vous savez et des compétences exceptionnelles que vous avez su développer.
Et toi, Roger, oui, tu es drôlement intelligent. Il faut être rusé pour avoir réussi comme tu l’as fait. Finalement, comme disait ma mère : « L’instruction, ça n’apporte pas l’éducation, mais surtout, le gros bon sens, ça ne s’apprend pas à l’école. »
par Pierrette Desrosiers, psychologue du travail, coach d’affaires, conférencière, formatrice et auteure
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