« Je ne me vois pas arrêter, j’ai fait ça toute ma vie. »
J’entends souvent dire que la relève n’est pas assez préparée au transfert d’entreprise ou qu’on aurait dû commencer plus tôt à déléguer des responsabilités. Mais qu’en est-il de la retraite? Une retraite en agriculture, est-ce possible? Qu’est-ce que c’est? Une réalité souvent très délicate à discuter et même taboue, mais pour laquelle il faut se préparer afin d’augmenter les chances de succès et d’éviter trop d’impacts négatifs.
Évidemment, les gens sont conscients qu’il faut une certaine préparation à la retraite. Ils parlent de planification financière et de fiscalité pour faciliter ce délicat et difficile transfert. Mais qui oserait mentionner qu’il faudrait se préparer psychologiquement pour une retraite? Certains ridiculiseront ce sujet, d’autres ne voudront tout simplement pas l’envisager. Afin de ne pas générer de l’anxiété, ils font de l’évitement et de la négation. Comme si la retraite ne frapperait jamais à leur porte…
Depuis plusieurs années, ce sujet intéresse les psychologues. La retraite étant un concept de plus en plus flou, mais certainement présent et réel. C’est ce moment où, on ne peut plus dire : je travaille pour un tel, j’ai une entreprise ou je suis agriculteur. Cette étape génère souvent un sentiment de perte d’identité. Celui-ci peut entraîner de profondes dépressions et peut même conduire jusqu’au suicide dans les pires scénarios. On remarque que la détresse psychologique est encore plus fréquente lorsque la retraite arrive trop tôt, n’est pas bien préparée ou est imposée. Pour certains, cette transition sera très douce. Pour d’autres, elle arrivera du jour au lendemain.
Alors que pour certains ce moment est tant rêvé, pour d’autres il est redouté. Pourquoi ces réactions opposées? On peut imaginer que certains détestent leur travail et comptent les dodos depuis des années. D’autres aiment leur travail, mais chérissent le rêve de la liberté en se préparant soigneusement pour cette prochaine étape. La détresse psychologique survient lorsque toute notre identité repose uniquement sur notre travail, notre rôle professionnel ou sur l’entreprise que l’on possède.
Pourquoi cela semble pire pour un entrepreneur de se retirer et encore plus dans le monde agricole? La réponse la plus évidente semble être le surinvestissement dans son travail. En réalité, lorsqu’on se surinvestit dans une sphère, on se désinvestit dans les autres et c’est donc plus difficile. Par exemple, si l’ego n’a trouvé satisfaction que dans les accomplissements professionnels ou les réussites financières, si l’on n’a pas pris le temps d’apprécier les moments en famille, si l’on n’a pas développé d’autres sources d’activités ou de loisirs, on est plus à risque. Pour plusieurs agriculteurs baby-boomers, le travail a été toute leur vie. Ce qui est appelé à changer pour les autres générations.
Dans le meilleur des scénarios, on souhaiterait que papa et maman puissent continuer aussi longtemps possible à leur rythme et leurs intérêts pour leur santé physique, psychologique et financière. Toutefois, ce scénario de retraite idéal est rarement possible. En effet, plusieurs facteurs peuvent entraver cette retraite rêvée. Dans certains cas, certains problèmes de santé émergent et précipitent la retraite, des conflits rendent l’association entre les deux générations impossibles ou un écart entre l’idée de la retraite de madame et de monsieur peuvent être source de désaccords importants. Monsieur ne veut pas la carte afin de profiter des rabais de la Fédération de l’âge d’or du Québec.
En résumé, plus la personne s’est investie dans sa carrière, plus elle s’est identifiée, plus il devient difficile de laisser les guides à la relève. Alors s’en suit un cercle vicieux où la relève ne peut pas prendre d’initiatives parce que les parents ne leur font pas confiance. Parce qu’ils ne font pas confiance, les parents ne prennent pas de vacances ou ne s’investissent pas dans d’autres loisirs et activités. Donc, les parents ne sont pas préparés pour ce passage de vie.
Une retraite n’est certainement pas de s’arrêter, mais de faire un peu de place à de nouvelles activités. C’est une période de vie où l’on peut réduire la cadence et découvrir de nouvelles passions. Ainsi, on laisse de la latitude à la relève afin qu’elle puisse également s’accomplir à sa façon.
En résumé, si l’on désire avoir une relève engagée, il faut accompagner les propriétaires pour mieux les préparer à cette nouvelle étape de vie. Car après tout : « Il ne faut pas chercher à rajouter des années à sa vie, mais plutôt essayer de rajouter de la vie à ses années. » Oscar Wilde.
À propos de l’auteure
Pierrette Desrosiers est psychologue du travail, conférencière, formatrice et coach d’affaires depuis plus de 20 ans. Elle est spécialiste des entreprises familiales.
Dans sa boutique, elle offre des outils sur pour le développement de l’intelligence émotionnelle pour les individus ou les entreprises.
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